L’innovation frugale, récemment développée par Navi Radjou, consultant spécialisé dans l’innovation et l’économie, et Jaideep Prabhu, professeur en entrepreneuriat, dans leur livre L’innovation frugale : comment faire mieux avec moins, pourrait bien changer notre rapport à l’utilisation de nos ressources.
Il prône l’économie de ces dernières et encourage donc grandement la créativité des innovateurs. Serait-ce, à terme, ce vers quoi le capitalisme tendrait ?
L’ancien Ministre de la Culture André Malraux avait pour habitude d'expliquer à quel point le manque de ressources pouvait stimuler la créativité artistique. L’innovation frugale n’est donc pas un concept nouveau. Elle a été longtemps pratiquée par les pays en développement, que ça soit par leurs entreprise que par leurs populations, où le manque de ressources pousse les artisans à stimuler leur créativité. Néanmoins, cet état de fait était plus par obligation que par calcul économique. Aujourd’hui, en revanche, beaucoup d’entreprises occidentales se sont mises à appliquer cette méthode.
Pourquoi cette stratégie ?
Elle s’explique par le changement du comportement des consommateurs, qui sont de plus en plus nombreux à considérer la frugalité et la préservation de l'environnement et des ressources comme des valeurs essentielles. D'après un sondage, la majorité des personnes interrogées seraient prêtes à payer plus pour des marques engagées sur les plans social et environnemental. Ils sont également prêts à passer plus de temps à chercher des produits qui leur correspondent et désirent pouvoir s’identifier aux produits qu’ils consomment.
Il y a trois développements de l’innovation frugale dans les pays occidentaux : l’économie du partage qui permet d’échanger sans intermédiaires ; l’économie circulaire avec le recyclage des ressources ; et la culture des makers, qui fabriquent eux-mêmes ce qu’ils consomment. Les imprimantes 3D en sont l’expression la plus actuelle, elles permettent la réalisation de pièces uniques et peu coûteuses. Selon Radjou, l'innovation frugale est présente dans la société occidentale mais pas assez dans les entreprises et dans les grandes écoles.
Les deux axes majeurs de l'idéologie de l'innovation frugales sont le partage et le « faire soi-même ». Ainsi, une étude montre que ce marché pourrait passer de 12 milliards d'euros aujourd’hui à 270 milliards d'ici 2025. Les entreprises existantes commencent alors à comprendre qu'elles doivent s'adapter à ce phénomène, sous peine d'être dépassées par des nouvelles start-up et l'économie peer-to-peer. Elles doivent apprendre cette capacité à imaginer des solutions ingénieuses dans un contexte difficile voire hostile, où l’on peut difficilement tout planifier, où ces solutions ne sont pas forcément les plus sophistiquées mais présentent l'avantage d’utiliser des ressources peu importantes et de participer à l’inclusion de populations exclues de l’économie.
Mais pour mettre en place cette pensée, la transformation doit être culturelle avant d'être économique. En effet, elle va au contraire de la pensée occidentale où l’on apprend aux ingénieurs R&D à faire avancer la technologie en ajoutant de nouvelles fonctionnalités aux produits existants. Ce système est souvent vu comme cher, gourmand en ressources et surtout déconnecté des réalités du marché et des besoins des clients, ce que met en lumière l'émergence rapide de l'économie frugale.
Application dans le secteur industriel
Radjou cite un exemple de la mise en application de ce concept dans un village indien qui avait été dévasté par un tremblement de terre où un potier indien a eu l'idée de créer un réfrigérateur en argile qui ne consomme aucune électricité. D'abord vendu qu'à son entourage, ce processus a ensuite été industrialisé pour être vendu dans tout le pays.
Au niveau des exemples occidentaux; on peut citer Renault-Nissan avec la création du Common Module Family (CMF) qui va leur permettre de développer des voitures low cost en faisant des économies d’échelle importantes, l'entreprise Tarkett, qui fabrique des revêtements de sols et s’est engagée à développer 90% de ses produits à partir de matériaux renouvelables ou recyclés d’ici à 2020, Google qui, dans le but de réduire l'écart entre l'offre et la demande, propose ainsi un smartphone sur mesure, baptisé Ara, dont on peut remplacer les composants à la carte au lieu de changer d’appareil, le groupe Unilever qui entend doubler son chiffre d’affaires pour atteindre 80 milliards d’euros tout en réduisant son impact environnemental de moitié d’ici à 2020, ce qui est un exemple d'intégration de la frugalité au cœur du modèle économique ou encore Ford, qui a converti un ancien hangar de Detroit en immense techshop grandeur nature pour ses employés afin de leur permettre de développer des prototypes tangibles dans un esprit de partage des actifs, des employés et des clients entre les entreprises.
Application dans le secteur culturel
Dans le domaine artistique, Sony Computer Science Lab a développé un projet de recherche multidisciplinaire autour de l’insertion sociale par l’économie numérique (SIDE), en s’intéressant à la puissance des technologies numériques contre l’exclusion via la création musicale collective. Le projet In-Hope vise, en s'appuyant sur la recherche artistique, à travailler avec les entreprises sur l'intégration de fonctions d'éclairage très économes en énergie dans des objets variés (emballages, accessoires et vêtements de mode, mobilier urbain ou de bureau). La recherche implique à la fois danse, lumière et textile intelligent, en considérant la lumière comme une matière rare plutôt que l'énergie qui la produit. Il s’agit d’une façon de répondre aux contraintes énergétiques en privilégiant de nouveaux usages. La danse et le mouvement permettent d'inclure la notion d'espace corporel dans la manipulation des objets et des matières, offrant ainsi des opportunités d'innovation frugale pour les solutions d'éclairage : ce dispositif donne plus d'effet lumineux alors qu'en réalité il y a moins de lumière.
